Keynote Codeurs en Seine 2016

Le jeudi 24 novembre 2016, Agnès Crépet et Cyril Lacote assuraient la keynote d’ouverture de Codeurs en Seine 2016 : Codeurs du Monde. L’équipe d’organisation leur avait demandé de raconter l’expérience de leur tour du monde.

La vidéo

La vidéo, avec slides synchronisés, est disponible chez InfoQ.

Si vous préférez la lecture, en voici la retranscription complète.



La retranscription

Cette diapositive de titre devient extrèmement cocasse quand on réalise qu’elle montre des développeurs Java sur l’île de Java. Ha ha.

Que racontent Agnès Crépet et Cyril Lacote ?

Agnès Crépet est développeuse, Java Champion, membre active de Duchess France, ex-organistratice du LyonJUG, et co-fondatrice de la conférence MiXiT à Lyon.

Cyril Lacote est dévelopeur Java. Après 10 ans de prestations en SSII, voulant travailler à l’étranger avec Agnès, il a cru trouver un job de rêve chez Google à Londres. Contre toute attente, il n’y resta qu’un mois, avant de s’enfuir (on en reparlera).

Il participe aussi à l’organisation de la conférence MiXiT (dont il portait ce jour un t-shirt, en complète indécence et irrespect pour Codeurs en Seine qui les recevait).

Agnès et Cyril se lancent alors dans un jeu de question-réponses pour sortir le public de leur léthargie (et surtout se déstresser un peu en cachette). L’audience est-elle heureuse, dans leur vie personnelle (mais on s’en fout complètement) ou dans leur job ?

Il s’avéra que oui, l’audience était plutôt heureuse.

En 2011, Agnès et Cyril sortaient ainsi d’une dizaine d’années de développement. Même un job dans une boîte de rêve comme Google ne fut pas l’idéal. Alors libres de toute contrainte et attache, ils ont décidé de partir faire un Tour du Monde, pour voir comment c’était ailleurs.

Pourquoi attendre 5 ans pour en parler ? Parce qu’entre temps ils ont essayé de survivre à la naissance de deux enfants rapprochés (et ce n’est pas une mince affaire). Et maintenant, ils ont le recul pour constater combien cela les a marqué, quelles leçons ils en ont tirées, et lesquelles ont été fructueuses.

Est-ce que vous reconnaissez ce minuscule pays de l’Afrique de l’Ouest ? Non, ce n’est pas le Bénin, mais son voisin le Togo.

Togo, Malaisie, Indonésie, USA, Suède. Voici les pays que traversera cette présentation. Dans leur tour du monde, ils sont aussi passés en Thaïlande, à Bali, en Australie, et en Nouvelle-Zélande, mais comme ils n’ont fait que profiter du pays, ils n’en parleront pas (même si ça vaut le coup).

Ils n’avaient pas envie de voyager qu’en touristes. Ils voulaient rencontrer des gens, et notamment des dévelopeurs. Alors ils ont fait ce qu’ils savaient faire : enseigner du Java et partager leur expérience de développeur dans différents meetups. Ils étaient souvent nourris et logés en échange de leurs formations, ce qui leur convenait parfaitement.

Agnès, alors très impliquée dans la communauté Duchess France, n’a pas pu s’empêcher de faire aussi un peu de prosélytisme, en aidant au montage de deux antennes locales : Duchess Africa et Duchess Indonésia.

Quelques faits marquants glanés autour du monde

Nous voilà partis pour un Tour du Monde en 15 minutes (record battu), où l’audience sera emportée dans un maelström d’anecdotes exotiques, tout à la fois savoureuses et pertinentes (espérons-le).

Direction Lomé, la capitale du Togo en Afrique de l’Ouest.

À Lomé, ils ont fait la rencontre d’Horacio, alors leader du TogoJUG, et depuis devenu un ami. Il leur proposait de faire un talk un samedi matin, dans un campus universitaire éloigné de la capitale. C’était à deux heures de taxi, et cela coûtait une journée de salaire local pour venir. Ils pensaient n’y trouver que quelques personnes : une soixantaine firent le déplacement ! On leur racontait alors que ce n’était pas étonnant : JCertif, la grosse conférence Java d’Afrique Centrale (leur Devoxx), accueillait des centaines de personnes faisant jusqu’à 3 jour de voyage pour y assister. Et traversaient parfois à pied l’imposant fleuve baignant le palais des congrès pour ne pas rater de conférence ! Une motivation qu’on aurait bien du mal à retrouver en France.

En France, Agnès et Cyril s’occupaient alors du LyonJUG. S’ils avaient organisé une session un samedi matin à Villeurbanne (la ville d’à-côté), ils n’y auraient probablement vu que 5 personnes maximum.

Sur Lyon, les communautés techniques sont fédérées par LyonTechHub, qui publie un calendrier de tous les meetups. Il y a un meetup chaque jour de la semaine, voir plusieurs. S’il est formidable de constater ce foisonnement des communautés, certaines peinent parfois à trouver leur public. Alors réjouissons-nous de cette richesse, là où d’autres n’ont droit qu’à très peu d’animations.

Agnès et Cyril étaient accueillis par une entreprise au Togo, où ils devaient former au Java de nouveaux embauchés. Ni l’entreprise, ni les élèves, n’étaient togolais : ils étaient tous de la Côte d’Ivoire. Mais l’entreprise les avait exfiltrés pour fuir la guerre civile sanglante qui ravageait le pays après la dernière élection présidentielle (pro-Gbagbo vs pro-Ouattara). Et une vraie guerre civile, avec des individus tués juste parce qu’ils étaient un peu enveloppés, comme le président sortant, qu’ils devaient donc nécessairement soutenir.

Ces élèves se retrouvaient ainsi dans un pays étranger, certes en sécurité, mais avec leur famille restée au pays. Autant dire qu’ils n’étaient pas pleinement sereins et concentrés pour suivre leur formation, jetant régulièrement un œil sur l’actualité de leur pays d’origine et prenant régulièrement des nouvelles de leurs proches.

En France, la plus violente des dernières guerres civiles en date a vu l’affrontement des partisans de l’appellation chocolatine, opposés à l’appellation pain au chocolat (qui est évidemment la bonne).

Encore une fois, réjouissons-nous des conditions de paix et de sérénité dans lesquelles nous avons la chance de pouvoir apprendre et travailler.

Leur copain Horacio leur expliquait aussi que les entreprises IT togolaises et africaines en général ne faisaient confiance qu’aux consultants blancs, et n’écoutaient pas les suggestions de leurs employés locaux. Elles préfèrent ainsi payer 2000€ par jour l’intervention d’un européen, alors que le SMIC mensuel n’est que de 50€ au Togo.

Certains occidentaux n’hésitent donc pas à s’expatrier, jouissant d’un pouvoir d’achat absolument considérable, avec une immense résidence, et 12 domestiques, de la cuisinière au chauffeur. Voilà un bel exemple de néo-colonialisme.

Même les startups africaines recrutent des blancs comme faire-valoir pour que leur proposition commerciale soit simplement écoutée. Leur copain Horacio, qui cherchait alors à créer son entreprise, leur a même demandé de jouer ce rôle pour lui. Malgré l’inconfortable culpabilité de ne pas aider leur ami, ils ont préféré refuser de participer à ce système.

En France, nous ne pouvons pas trop faire les malins : dans de nombreuses grosses entreprises, seuls certains consultants référencés ont leur mot à dire sur la stratégie ou l’architecture applicative, et les équipes de développeurs internes sont ignorées sur ces sujets importants. Plus le costume est cher, plus la voix est importante.

Après Lomé au Togo, nous nous envolons pour Kuala Lumpur en Malaisie (c’est rigolo c’est apparemment à la même latitude, traçant une ligne parfaitement parallèle à l’équateur). Bon, en vrai, ce n’est pas commme ça que le voyage s’est déroulé : entre ces deux destinations, Agnès et Cyril ont profité d’un long moment de détente en Thaïlande. Mais faute d’anecdote liée au développeur, ils n’en parleront pas.

Donc, Kuala Lumpur. À l’époque, ils ne connaissaient absolument rien de cette ville (Mission Impossible III n’était pas encore sorti), et n’avaient aucune image en tête. Et ce nom de Kuala Lumpur leur évoquait un exotisme absolu, genre temple d’Indiana Jones avec des singes dans la jungle.

Il s’est avéré que ce n’était pas tout à fait le cas.

Kuala Lumpur s’est révélée être une copie asiatique (et musulmane) de Londres, où les temples sont des tours de verre au service des dieux de la finance et du commerce.

Donnant une session au MalaysiaJUG, ils ont pu observé la richesse de l’université, et les conditions exceptionnelles auxquelles avaient droit les étudiants.

Bien loin de celles qu’ils avaient connues en France…

Voici l’INSA de Lyon, école d’ingénieur au top de leur région. Comme toute université française : murs décrépis, bancs cassés et moyens dérisoires.

Autre anecdote plus personnelle : Agnès et Cyril viennent de faire entrer leur plus grand fils Marius, 3 ans, à l’école maternelle. Alors qu’ils pensaient que Marius faisait ses premiers pas sur le long chemin serein de la vie, ils découvrent qu’ils seront plus de trente enfants entassés par classe, avec des peintures écaillées, des morceaux de plafond qui tombent, et un sol amianté (conseil de la mairie : “s’il ne frottent pas trop leurs pieds c’est sans danger”). Voici les moyens assignés à l’éducation publique en France. C’est assez pathétique, et peu rassurant sur l’avenir de la République.

Plus petit trajet de notre histoire : direction Jakarta, en Indonésie. Un véritable enfer urbain (plus de 25 millions de personnes en 2012), pollué par un trafic routier cauchemardesque.

Dans cet enfer, Agnès et Cyril ont rencontré deux jeunes femmes, Nety et Mila. Elles n’avaient pas 20 ans et menaient de front leurs études universitaires, une création d’entreprise, et quatre heures de transport quotidiennes. Régulièrement, elles prenaient leur scooter pour sillonner l’île de Java, dans des road trips pédagogiques où elles initiaient des jeunes au code.

Impressionnantes de motivation et d’énergie.

En France, les étudiants de 20 ans semblent moins préoccupés par leur avenir. Et consacrent en général leur temps libre à d’autres loisirs moins constructifs. N’est-ce pas Agnès ? (elle écumait alors les bars et les concerts).

Voici les élèves à qui ils donnaient des cours à l’Université de Jakarta. Et si vous regardez bien cette photo, vous y observerez une autre surprenante caractéristique de l’IT en Indonésie : une parité homme/femme exemplaire. Sans connaître les statistiques exactes, c’est bien ce qu’Agnès et Cyril ont constaté partout où ils sont allés.

Alors qu’en France, vous avez dû faire le même constat : c’est plutôt la bromance.

Cyril fait de la prestation informatique depuis 15 ans, et a dû travailler avec 150 personnes. Et probablement que 139 étaient des mâles trentenaires, blancs et hétéro. En gros, la seule développeuse qu’il a rencontrée, il lui a fait deux enfants… C’est un peu exagéré, mais les développeuses qu’il a croisées doivent se compter sur les doigts d’une main (coucou Pierrette, coucou Daphné).

On a donc dans l’IT français un sacré problème de diversité. Et encore, le terme de diversité est mal choisi. “Diversité” sonne comme un luxe facultatif qui apporterait une petite touche d’exotisme charmant à l’équipe. Non, c’est juste un put*in de problème de représentativité : l’IT n’est pas à l’image de la France.

Voilà maintenant qu’on s’envole pour San Francisco, Californie, USA, capitale de l’informatique mondiale, siège des Google, Twitter, Facebook, Uber et AirBnb.

Agnès et Cyril y ont rencontré quelques stars qu’ils interviewaient pour un podcast (depuis abandonné) :

  • Romain Guy, un googler d’origine lyonnaise, qui a codé l’essentiel de l’UI de vos téléphones Android 
  • Pamela Fox, ancienne developer advocate de Google, alors chez Coursera, qu’ils ont fait venir à MiXiT 
  • Malte Ubl, depuis devenu le tech lead de AMP, la technologie de Google pour rendre instantané le rendu des pages web sur mobile.

Ces gens travaillent dans un cadre merveilleux, pour des sociétés financièrement généreuses, et impactent des milliards de personnes. Pourtant, tout n’est pas idéal. C’était l’époque où les navettes Google (qui transportent leurs employés de San Francisco au siège de Mountain View à une heure de route) commençaient à se faire caillasser par la population qui leur reprochait la terrible gentrification de la ville.

Même avec une très bonne rémunération, Romain Guy a eu du mal à trouver une maison dans la Silicon Valley pour loger sa famille agrandie, il lui a fallu trois ans : quand une annonce paraît, des chinois débarquent dans l’heure qui suit avec des valises de liquide, contenant 500.000$ de plus que l’exorbitant prix demandé, et achètent sans visiter…

À Saint-Etienne, il n’y a peut-être pas Twitter ni Google, mais ça ne saurait tarder grâce à la French Tech. Non j’déconne. On n’est pas là pour troller sur la French Tech.

A Saint-Etienne, il n’y a peut-être pas Twitter ni Google, mais au moins l’immobilier n’est pas aussi tendu : moins de 1000€ le mètre carré. Quand Agnès et Cyril sont revenus de leur voyage sans aucune possession, et qu’ils prévoyaient la création de leur entreprise sans garantie de succès, et la procréation d’enfants dont ils ignoraient tout du coût de gestion, ils se sont alors installés à Saint-Etienne pour éviter d’ajouter la pression immobilière à leurs projets. L’aventure était alors financièrement plus sereine.

Direction Stockholm, en Suède. Ce n’était pas vraiment dans le cadre de leur tour du Monde, mais ils y sont allés récemment (en repérage pour peut-être s’y installer avec leurs enfants).

À Stockholm, Agnès et Cyril ont croisé un expatrié français depuis 8 ans (il travaille depuis chez Spotify, la boîte cool du coin). Il avait débarqué en Suède avec un enfant en très bas âge. Lors de son premier jour de travail, son manager passe près de son bureau à 17H, et lui demande ce qu’il est en train de faire.

— Et bien je travaille. — Je croyais que tu avais un bébé à la maison. — Heu oui, c’est ça. — Et bien tu ne devrais pas être là. Rentre vite t’en occuper.

En Suède, on ne rigole pas avec la parité. Le partage des tâches domestiques et familiales n’est pas seulement conseillé, c’est surtout très mal vu que le père ne s’occupe pas suffisamment de ses enfants. Au point de se faire engueuler par son manager si un jeune papa reste après 17H au travail.

En France, et dans la plupart des pays occidentaux semble-t-il, ce n’est pas vraiment cet esprit.

Ce dessin (qui a été piqué à un inconnu sur Internet) représente assez bien l’état d’esprit traditionnel :

  • Tu peux avoir de l’argent et du temps libre, mais il ne faut pas avoir d’enfant, ou ne pas s’en occuper.
  • Tu peux avoir de l’argent et des enfants, mais tu n’auras alors pas de temps libre.
  • Tu peux avoir du temps et des enfants, mais tu n’auras probablement pas trop d’argent, avec un temps partiel.

OK, et après ?

Montrons combien les présentateurs ont fait preuve d’une clairvoyance éclairée pour forger leur destin.

S’ils avaient flippé de partir en long voyage sans salaire, Agnès et Cyril ont finalement réalisé que c’était très facile sans enfants. Alors, profitez-en tant qu’il est encore temps pour vous !

Le tour du Monde terminé, la question était maintenant de savoir quelles leçons ils allaient en tirer pour leur retour à la réalité professionnelle.

Agnès et Cyril ne voulaient plus être salariés, et encore moins en SSII, où on leur expliquait que le développement était une tâche à faible valeur ajoutée, et qu’il fallait penser à faire un vrai métier rentable : remplir des chiffres dans des cases Excel. :’(

Une des premières phrases du droit du travail indique qu’il s’applique uniquement s’il y a un rapport de subordination entre l’employé et l’employeur. Ainsi, le travail, après lequel court toute la société depuis des décennies (pour réduire le chômage et retrouver le plein-emploi), est fondamentalement une relation de subordination. Un employeur fera du chantage à l’employé : tu n’auras ton salaire que si tu fais cette tâche ingrate. Agnès et Cyril ne voulaient plus de cette subordination, et voulaient rester libres de choisir leur travail, et pour qui ils travaillaient.

Les entreprises libérées sont d’ailleurs à la mode. Mais aussi libérée que soit une entreprise, la relation de subordination fait qu’aucun salarié non actionnaire n’a un droit de regard sur le destin de l’entreprise. Un exemple récent est celui d’Octo. Si Agnès et Cyril ne connaissaient pas vraiment Octo, elle semblait une SSII plutôt cool, avec des employés pointus et reconnus. Mais du jour au lendemain, elle fut rachetée par Accenture. Reste à voir comment cela évoluera, mais il est fortement probabable que l’ambiance change du tout au tout, et que la stratégie d’Octo ne soit plus vraiment la même. Ainsi, ce n’est pas parce que tu adhères aux valeurs de ton entreprise que tu seras maître de son destin.

Agnès et Cyril ne veulent pas non plus dire que travailler dans une grosse société est forcément un échec. Mais eux-mêmes avaient du mal à imaginer des alternatives satisfaisantes. Alors ils veulent aussi présenter celle à laquelle ils sont arrivés.

Ils cherchaient donc une alternative au salariat. L’évidence est de se lancer en freelance. Mais cela ne leur convenait pas vraiment. Ils voulaient construire un projet collectif. Tout en sachant qu’ils n’étaient que des développeurs sans aucune autre compétence, perdus vers Saint-Etienne, et qu’ils ne voulaient ni locaux, ni managers, ni commerciaux.

Avec deux autres développeurs (bisous Cédric, bisous JB), ils se sont alors lancés dans une société coopérative : un homme = une voix, tous égaux, tous actionnaires. La transparence était aussi une valeur qui leur tenait à cœur. Malgré des écarts d’âge prononcés, ils ont décidé d’adopté un modèle de salaire encore plus simple que la fameuse grille de Buffer : tous le même salaire (2500€ net, et ils se partagent le reste à la fin de l’année, ce qui représenta quand même un bonus de 18 000€ nets pour chaque ninja l’année dernière). La grille de salaire de Ninja Squad est d’ailleurs aussi publique :)

Avec le recul, quatre ans après, est-ce que cela a fonctionné ?

Déjà, ils cherchaient une alternative au salariat. Le problème n’était pas tant le salariat que la relation de subordination induite. Ainsi, dans Ninja Squad, ils ont volontairement choisis d’être salariés, car leur statut de SAS le permettait, et ils voulaient par conviction participer au système social par répartition.

Au début, les commerciaux de leurs précédentes SSIIs ricanaient : “vous allez vous planter en beauté”. Et certains leur prophétisaient une déconvenue : “avec un nom comme Ninja Squad, vous allez vraiment passer pour des guignols”. Avec le recul, bien qu’ils étaient loin de l’avoir calculé, le nom et l’esprit débridé assurent un excellent filtre. Si les grosses entreprises scélérosées (banque, assurance, grande distribution) ne veulent pas travailler avec ces guignols, c’est finalement tant mieux : ils ne veulent pas non plus travailler pour eux. Les quelques clients qui font la démarche de venir les voir sont déjà probablement des gens avec qui ils auront des affinités.

Le plus grand luxe d’avoir sa propre société c’est aussi de choisir ses clients, et refuser de travailler pour ceux dont on ne partage pas l’éthique. Après avoir éprouvé de l’empathie pour certains parcours de vie autour du monde, et après avoir fait des enfants, il y a certaines activités qu’on a encore moins envie d’encourager.

Quand on travaille en SSII, la SSII d’à côté est une concurrente, à qui il faut plutôt faire des croche-pieds que des bisous. Sans avoir d’explication formelle, il s’avère que dans leur petit monde des sociétés coopératives, l’entre-aide est plutôt de mise. En 2013, avec leurs amis de Scopyleft et de Lateral Thoughts, ils avaient animé un BoF à Devoxx sur les NoSSII (NoSSII : Not Only SSII). Depuis, ils se retrouvent sur un Slack. Et l’échange de tuyaux, de bons plans, et de missions, est toujours d’actualité.

Être libre dans sa société, c’est aussi maîtriser complètement son temps de travail, et définir l’équilibre avec la vie personnelle qui convient à chacun. Google est célèbre pour ses 20% de temps libre, et Ninja Squad fait vraiment pareil : ils ne facturent que 4 jours par semaine, et se gardent le vendredi pour travailler sur ce qu’ils veulent. Ce n’est pas toujours très sexy (il y a parfois de l’administratif, notamment la gestion des formations avec nos chers dinosaures du FAFIEC), mais au moins ont-ils du temps réservé pour cela.

Un autre avantage peut-être anecdotique d’avoir sa propre société est que cela résout un bête problème d’image. Quand vous avez votre entreprise, unipersonnelle ou non, il faut en assurer la promotion. Si les clients ne savent pas que vous existez, ils ne viendront pas vers vous. Ainsi, si vous êtes freelance, c’est en votre nom propre qu’il vous faut faire du marketing : “Oh la la qu’est-ce que je suis fort, j’ai encore fait ce projet, je parle encore à cette conférence”. Si vous avez une vraie société, avec son image, il suffit alors d’en dire tout le bien que vous voulez : votre humilité est sauve, vous ne parlez pas de vous. Vous avez transformé le personal branling en corporate branding !

Comment faire alors pour se lancer ? Est-ce compliqué ?

Et bien non ! Agnès, Cyril, et leurs collègues ninja Cédric et JB n’y connaissaient rien. Il leur a suffit de payer 1500€ un cabinet prestataire pour se faire interviewer sur la teneur des statuts qui leur convenaient, et assurer la création de la société.

La vraie difficulté, la plus importante, est de trouver les bonnes personnes qui feront les bons associés. Les gens qui resteront vos copains quand le sujet de l’argent arrivera sur la table. Il faut donc trouver les gens avec qui vous partagez vraiment les bonnes valeurs, et qui sont aussi vos complémentaires. Facile à dire, bien plus difficile à trouver.

Dans Ninja Squad, ils ont eu beaucoup de chance. Agnès et Cyril avaient rencontré Cédric dans l’associatif, et avaient travaillé avec lui dans ce cadre (LyonJUG, MiXiT). Comme quoi, participer à la vie des communautés techniques est important ;). Ils avaient travaillé avec JB dans le cadre professionnel. Mais JB et Cédric ne se connaissaient pas. Ce dernier dit d’ailleurs : “ça n’avait aucun sens de monter une boîte avec un mec avec qui j’avais juste bu une bière en 5 minutes”. Mais ils ont finalement eu la chance incroyable d’être à la fois complémentaires et compatibles.

Un dernier point important avant de se lancer : trouver un bon comptable, parce vous allez passer beaucoup de temps avec lui. Alors mieux vaut trouver quelqu’un avec qui vous vous entendez bien, et qui vous mâchera le travail si la comptabilité n’est pas votre passion… Mais vous pourrez toujours changer par la suite.

Avec tout ça, dans le monde du développement où il y a tellement de travail insatisfait, il n’y a aucune raison que cela ne fonctionne pas, si vous travaillez correctement. Et avec peu de charges (pas de locaux, pas de commerciaux, pas de managers à payer), il est probable que vous viviez très bien.

Une conclusion subtile et inspirante

Voici, enfin, la conclusion, où apparaît soudainement, après un moment de flou, combien cette présentation est finalement bien construite et inspirante (normalement).

Donc, pour reboucler avec l’introduction, pourquoi est-on heureux ?

Agnès et Cyril sont tombés sur un TEDx de Jérome Bonaldi sur le bonheur. Il présentait différentes études statistiques qui ont permis de discriminer les facteurs influants sur le bonheur. Et le facteur le plus influent n’est pas celui qu’on pourrait croire.

Est-ce que les enfants et la famille contribuent au bonheur comme on le croit instinctivement ? Pas du tout !

On peut être parfaitement heureux ou malheureux avec ou sans enfant.

Est-ce que la religion aide ? Non plus !

Après, il y a les facteurs évidents, comme la santé. On sera évidemment plus heureux si on est en bonne santé.

Le cadre de vie joue aussi. On sera plus heureux dans un joli endroit qu’en vivant au bord d’une décharge.

Le niveau de vie contribue aussi : on sera évidemment plus heureux si on a les moyens de manger ce qui nous plaît, et de s’offrir quelques loisirs.

Mais enfin, le facteur le plus universel qui contribue le plus au bonheur est le sentiment d’avoir le contrôle de sa vie (empowerment, comme disent les américains).

Quelqu’un qui pense que sa vie est la faute du gouvernement ou de ce salaud de patron sera fondamentalement moins heureux que celui qui pense qu’il est maître de son destin. Il n’est même pas question de pouvoir vraiment, factuellement, changer sa vie, il est juste question de le penser !

Alors, vous qui êtes développeurs, dans ce monde où vous êtes tant recherchés, il est temps de prendre en main votre destin pour construire votre bonheur.

Les feedbacks

Un article suite à une interview paru dans le journal régional Paris-Normandie : Codeurs en Seine à Rouen : le métier de développeur web a de beaux jours devant lui.

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